
Louise Katz
30 nov. 2023
Je le reconnais notre programmation de l'année 2025 ne donnait pas vraiment envie de rire (sauf à être doté d'un sens de l'humour vraiment très particulier). Du procès des viols de Mazan à Mayotte ravagée par le cyclone Chido, en passant par les accidents mortels du travail et la propagande russe sur la guerre en Ukraine, sur le papier il fallait avoir le moral bien accroché ou être sérieusement dopé au prozac. J'écris "sur le papier", parce qu'en vrai, aucun de nos spectacles ne m'a jamais ni déprimée, ni angoissée et je sais que je ne suis pas la seule.
Alors pourquoi passe-ton quand même un bon moment à une soirée 3 Ours ?Il y a 3 raisons à ça (enfin sûrement davantage, mais pour l'éditorial, je trouve que les pitchs en 3 points, ça va bien avec les 3 Ours).
UNE QUESTION DE TRAITEMENT
En fait, pour moi, l'angoisse informationnelle (phénomène qu'on connait plutôt grâce au formidable travail de la fondation Jean Jaurès sous le nom de "fatigue informationnelle" ou même d'exode informationnel), ça tient moins au fond qu'à la forme, moins au sujet qu'à la manière de le raconter.
Parmi les solutions proposées pour lutter contre le phénomène par les journalistes qui se sont intéressés à la question, la question du traitement de l'actualité occupe une place centrale. Le journalisme de solution qui s'attache à relater les solutions mises en œuvre (même imparfaitement) pour répondre un problème, plutôt que le problème en lui-même, permet généralement un rapport plus apaisé à l'information.
Aux 3 Ours, on ne s'inscrit pas toujours — et pas toujours assez — dans cette perspective éditoriale (mais on y travaille). Par exemple, dans notre dernier spectacle sur Mayotte, Louis Witter a bien sûr parlé des conséquences dramatiques de Chido et des ratés du gouvernement dans l'aide apportée à la population, mais il a également consacré tout un tableau de son récit à l'engagement complètement désintéressé d'un professeur pour ses élèves. Et du coup, la salle était consciente des problèmes, mais pas déprimée.
CHOISIR SON MOMENT
Une autre cause de la fatigue informationnelle, c'est le moment où nous recevons l'information. Et si nous nous sentis envahi·es par des actualités oppressantes, c'est souvent parce qu'elles nous arrivent sans prévenir et surtout sans que nous l'ayons choisi. Qu'il s'agisse du scroll sur les réseaux sociaux (j'étais venue chercher une recette de fondant au chocolat et me voilà en train de frémir sur un post traitant de l'explosion de la cyber pédocriminalité), des infos à la radio qui juxtaposent guerres, faits divers et politique intérieure et tout ce qui fait l'actualité ou encore des notifications push sur nos téléphones qui viennent perturber nos réunions comme nos discussions familiales ou amicales : nous sommes sur-informée·es et sur-sollicité·es.
Pour plein de ressources pour lutter contre la fatigue informaiionelle, je vous recommande l'excellent travail mené depuis plusieurs années par la journaliste Anne-Sophie Novel
Or, le problème ici encore, c'est moins notre capacité à recevoir une information, voir notre désir à être informé sur un sujet qu'une question de timing. J'entendais Nina Fasciaux, responsable en Europe pour le Solutions Journalism Network et autrice de l'essai Mal entendus, les Français, les médias et la démocratie, raconter lors d'une table ronde qu'elle avait arrêté les informations le matin au réveil ou au petit-déjeuner parce que clairement à ce moment-là de la journée, elle n'était pas disposée psychiquement à recevoir cette quantité d'information, ni à gérer le stress que ces différentes informations pouvaient éventuellement entrainer. Mais qu'à partir de 14h et surtout sur un moment choisi, ça se passait très bien. Quand on choisit son moment, on prépare son attention, on se met dans les bonnes dispositions et on est en capacité de s'informer sur tous les sujets ou presque.
Avec les 3 Ours, c'est exactement, ce que nous vous proposons : en venant à nos spectacles, vous choisissez votre moment, vous savez le jour et l'heure où on vous vous informerez sur un sujet donné et même quel·le journaliste travaillant pour quel média viendra vous en parler.
ROMPRE LA SOLITUDE INFORMATIONNELLE
Enfin, nous sommes souvent isolé·es face à l'info. Quand les actualités nous arrivent, nous sommes seul·es devant l'écran de notre téléphone, à écouter notre podcast ou à lire notre revue préférée. Et quand nous sommes frappé·es par le chaos et la violence du monde, nous sommes seul·es aussi. Ce qui a pour effet d'accroitre notre stress et notre sentiment d'impuissance.
En cela l'information vivante peut être une magnifique solution. Dans une salle de spectacle, la présence de l'autre devient rassurante. Je ne suis pas seul•e, je ne suis plus seul·e à écouter le monde et ses fracas et ce vécu collectif de l'information change tout. Lors des différents spectacles d'info auxquels j'ai pu assister, j'ai écouté des histoires poignantes, révoltantes ou tragiques, mais je sais que j'ai pu les écouter sans vaciller parce que nous étions ensemble.
Alors, tu viens ? Vous venez ?
